La Commission européenne vient de dévoiler son « Omnibus » visant à réviser, entre autres, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Sur le papier, l’objectif affiché est double : alléger la charge administrative des entreprises (qui s’en plaindront difficilement !) et repousser la mise en application d’exigences pourtant déjà anticipées par beaucoup. Un soulagement pour certaines sociétés, certes, mais qui laisse un goût amer pour celles qui s’étaient déjà solidement engagées dans une démarche de reporting sur la durabilité.

Les bonnes nouvelles : une simplification attendue et un délai supplémentaire

Il serait malvenu de nier les avancées proposées. D’abord, l’UE a (enfin) entendu les demandes pressantes de simplification. Concrètement, on recentre les obligations sur les plus grands acteurs, avec la promesse d’un vrai « coup de balai » dans le maquis réglementaire. Ensuite, le report de deux ans de la mise en conformité pour nombre d’entreprises apparaît comme un répit bienvenu. Alors que les équipes s’échinaient à décrypter chaque paragraphe d’une directive parfois ésotérique, un peu plus de temps pour s’organiser n’est pas de refus.

Les revers de la médaille : seuils arbitraires et incertitude législative

Seulement voilà, cette révision s’accompagne d’un relèvement des seuils : pourquoi 1000 salariés, et non 800 ou 500 ? Alignement avec la CS3D ? Quelle cohérence économique entre 1000 salariés et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ? Difficile d’y voir une logique implacable.

Cette évolution, brutale et pour le moins « incompréhensible », place les entreprises pionnières dans une situation de frustration. Celles qui avaient investi (humainement, financièrement) pour être prêtes dès 2026 se retrouvent un peu « lésées », pendant que d’autres pourront temporiser. À cela s’ajoute un climat d’incertitude : on déconfine la directive CSRD alors même que les marchés financiers réclament toujours plus de transparence (SFDR oblige). Comment va-t-on articuler ces nouvelles règles avec les exigences persistantes de la place financière ?

De surcroît, on peine à retrouver dans ce « grand remaniement » la vision initiale de la CSRD et de la Taxonomie européenne, qui visait à inciter les entreprises à adopter une stratégie durable et résiliente. Beaucoup craignent que le dispositif ne se réduise, faute de clarté, à un simple exercice de conformité.

Points d’achoppement : double matérialité et approche géopolitique en péril

Autre élément de crispation : le concept de « double matérialité », pierre angulaire du modèle européen, est certes maintenu, mais la réouverture des débats place l’UE dans une posture ambiguë. C’était pourtant l’occasion d’affirmer un leadership géopolitique (face à l’approche plus financière, voire plus “anglo-saxonne”), avec des normes reprises à l’international. Aujourd’hui, l’incertitude pèse : ce référentiel unique, censé guider des milliers d’entreprises, va-t-il encore s’imposer ?

Une voie médiane ?

Fallait-il vraiment exclure d’emblée certaines catégories d’acteurs ? Ne pouvait-on pas imaginer un dispositif de divulgation progressive, ne serait-ce que sur les enjeux climatiques, même si l’analyse systémique des enjeux est essentielle? L’exclure totalement du scope signifie priver les acteurs de la finance, eux-mêmes astreints au règlement SFDR, d’informations essentielles. On risque de freiner l’orientation des capitaux vers la transition durable.

Quelles perspectives ? 

Malgré les flottements, les entreprises plus avancées (souvent les anciennes « DPEF Déclaration de Performance Extra-Financière ») ne vont pas faire machine arrière : elles continueront à peaufiner leurs rapports de durabilité, pariant sur d’éventuels revirements. Les plus novices en matière de RSE, elles, souffleront peut-être un moment, avant de réaliser qu’il reste plus sage d’anticiper qu’attendre une hypothétique version finale des textes.

Le bilan ? Une réforme mitigée : d’un côté, la volonté (louable) de rationaliser un dispositif devenu tentaculaire ; de l’autre, une ligne directrice qui vacille, au risque de brouiller le message politique initial. Sur le long terme, il faudra espérer que cette pause permette de clarifier l’essentiel : comment assurer une cohérence entre l’ambition environnementale, l’impératif de compétitivité et l’inévitable exigence de transparence ? 

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